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« Je pars pour la fabuleuse Amérique, pour le pays des cow-boys aux coups de revolver faciles, pour le continent d’où souvent monte une clameur autour d’un Nègre qu’on lynche pour avoir osé regarder, admirer une femme blanche ou d’un Nègre qu’on chasse d’une Université haut lieu de l’intelligence. Un pays merveilleux de pionniers attardés. »
Ainsi débute la chronique de voyage écrite en 1963 par Bernard Dadié. C’est le temps des résistances, des soulèvements, des luttes pour la liberté à travers l’Afrique et sa diaspora des Etats-Unis d’Amérique. Le récit dépeint l’aventure vécue par un Africain lors de son premier voyage à New York. En homme instruit et observateur, Dadié livre ses impressions, tantôt comiques et tantôt sombres, mais toujours révélatrices de son engagement pour la justice.
Bernard Dadié, de son nom d’origine Koffi Binlin Dadié, est né le 10 janvier 1916 à Assinie au sud de la Côte d’Ivoire. A sept ans, il part vivre dans la plantation d’un oncle à Bingerville puis rejoint son père qui le confie à un instituteur de Dabou, Bernard Sétigui Sangaré, dont il prend le prénom au moment de son baptême en 1925. En juin 1933, il entre à l’École William-Pontyde Gorée, la célèbre pépinière de l’élite africaine de l’époque. C’est là que se révèle sa vocation d’écrivain. On lui confie le rangement de la bibliothèque de l’école, ce qui l’amène à découvrir tous les plus grands auteurs. Il lit également des journaux africains ou venus d’Europe, parfois échangés clandestinement, qui préparent et modèlent son futur engagement politique. En 1936, il est affecté en qualité de commis de l’Administration à la Direction Générale de l’Enseignement de Dakar, puis aux Archives. Son militantisme politique trouve à s’épanouir au sortir de la guerre : il collabore activement à des journaux, en particulier la Communauté, un hebdomadaire qui s’oppose à la Déclaration de Brazzaville et qui appelle à l’Indépendance des pays d’Afrique. Il est à cette époque le Responsable de Presse du Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et il fait également partie du RDA (Rassemblement Démocratique Africain), fondé en 1947 par Félix Houphouët-Boigny, ce qui lui vaut d’être incarcéré par l’administration coloniale, à la suite des émeutes survenues à Grand-Bassam en 1949. Il tient un journal en prison, qu’il publie en 1981. À partir de 1956, Bernard Dadié multiplie les voyages, qui constituent la matière principale de ses romans : Un Nègre à Paris (Présence Africaine, 1959), Patron de New-York (Présence Africaine, 1964), Hommes de tous les continents (Poèmes, Présence Africaine, 1967), La Ville où nul ne meurt (Présence Africaine, 1969). Tous ces livres témoignent d’une extraordinaire attention au monde en même temps que d’une quête d’identité parfois douloureuse, car elle se mène au contact de l’autre ou de l’étranger. Auteur d’une oeuvre particulièrement prolifique, il s’est essayé à tous les genres, le roman, l’essai, la poésie. Il est aussi reconnu pour ses nombreuses pièces de théâtre, comme par exemple Monsieur Thôgô-Ghini, paru chez Présence Africaine en 1970. À la suite de l’Indépendance de la Côte d’Ivoire en 1960, Bernard Dadié rejoint l’administration de Félix Houphouët-Boigny et devient chef de cabinet du ministre de l’Éducation nationale. Il occupe la fonction de Ministre de la Culture et de l’Information entre 1977 et 1986. Bernard Dadié s’éteint le 9 mars 2019 à l’âge de 103 ans. S’il est toujours resté à l’écart des auteurs de la Négritude, il en a exprimé l’essence dans des vers restés célèbres :
« Je vous remercie mon Dieu de m’avoir créé Noir
Le blanc est une couleur de circonstance, le noir la couleur de tous les jours.
Et je porte le Monde depuis l’aube des temps
Et mon rire sur le monde, dans la nuit, crée le jour »